Y a-t-il une « architecture » après le « patrimoine » ?
Ce titre paraphrase dans la forme et dans le fond la fameuse question que pose le vivant sur ce qui vient après la mort. En réalité, j’ai pu constater que la majorité (sinon la totalité) des architectes qui s’intéressent au patrimoine bâti, vouent un certain déplaisir à la production architecturale actuelle (et moderne en général).
J’ai constaté également que ces confrères cultivent un instinct de « conservation », comme s’ils appréhendent la nouveauté en architecture. En véritables amoureux du pittoresque, les matériaux, les formes et la pâleur (tels, le décoloré, le délavé, l’effrité) deviennent pour eux des valeurs fondamentales de l’architecture. A regarder de près, cette attitude revêt un caractère artistique tout en finesse. L’effet du temps sur les matériaux et sur les couleurs procure un véritable sentiment de beauté, mêlée à une mélancolie, titillant le sentiment de l’être, du temps qui passe, de l’imaginaire des constructeurs….bref de « ce qui a été ».
Chez les autres architectes (surtout, ceux fraîchement diplômés), la vague du « elle n’a pas encore joué » est tellement haute, que leur surf est enivrant. Il est fondamental pour eux de « recréer » le monde. Un monde scintillant, aux couleurs fraîches à présenter de préférence en 3D et en HD. Leur « projet » tient souvent à gagner l’enjeu de l’originalité, celle-ci se mesure au degré de confusion qu’on peut lui prêter en comparaison avec les produits des « grosses » signatures (Z.Hadid. F.Gehry…).
Chez les uns comme chez les autres il y a un rapport au monde bien établi. L’enracinement devient un fond prégnant, impératif et sacré, quand il s’agit d’apprécier la profondeur du patrimoine, le pittoresque et sa poésie. (cette attitude peut être temporaire). Ainsi, le monde de ces « patrimonialistes » est plus épais dans l’entourage immédiat…il est vague dans la périphérie. Chez les autres, il s’agit de s’accrocher à l’universalisme aussi prégnant et plutôt hypermédiatisé. L’appréciation de la production architecturale, souvent décontextualisée, appelle au « déracinement volontaire », c’est-à-dire à un mise entre parenthèses de l’environnement quotidien (urbain) .
Ces catégories, aussi schématiquement esquissées montrent la nature des uns et des autres : un instinct vers « la conservation » et un instinct versé « la création »…..Pourtant les deux catégories ont subi quasiment le même cursus « académique » (la qualité de la formation est sûrement différente). C’est dire que la prégnance de l’environnement dans la formation de la personnalité de l’architecte, de son style, de son « domaine » d’intérêt est fondamentale.
Aussi, quand on mesure la diversité des « architectures » en Algérie (architectures produites durant les 2 ou 3 dernières décennies), nous pouvons déceler « l’hybridité » , signe du reniement de (ou des) la matrice (s) qui témoignent de l’éventail des architectures vernaculaires.
A Constantine, la ville des « occasions ratées »( expression de mon ami Said. M.) est un exemple de cette perte de repères : d’un côté on « patrimonialise » froidement, (avec un faux instinct de conservation) et de l’autre côté on « métropolise » , en croyant que le mimétisme est un instinct de création…alors que c’est une troisième voie…celle de ceux qui non jamais étaient enracinés , donc il ne peuvent pas être déracinés….