DECONSTRUIRE LE DECONSTRUCTIVISME

Publié le par bouchareb

A voir l’hilarité de certaines «stars » de l’architecture, il est loisible de diagnostiquer les symptômes du délire pathologique. Et c’est Koolhas qui le « revendique » (delirious). En fait, toute déraison, toute démesure gestuelle, toute hallucination (fut-elle fantasmagorique), s’inscrivant sur une interface « spatialisée », est illico accrochée au tableau et soulignée de la catégorie des œuvres rarissimes.

Normal, me diriez-vous. Je n’en disconviens pas, devrai-je rétorquer. Mais le monologue ne peut pas se contenter des courtes répliques. Au fond, l’anarchie n’est-elle pas cette ambiance revendiquée par les artistes pour produire un « ordre » et une tranquillité ? N’est-elle pas la phobie des politiques prétendant porter des « projets » de société ? C’est dire que l’anarchie est un écueil pour les Etats, une phase de gestation pour les intellectuels et une esquisse pour les artistes (accordons aux architectes une place dans cette catégorie). Cette distinction relance un ancien débat sur l’ambigüité moralité/légalité.

Si l’art ne s’encombre pas de l’interdit, du moins chez les artistes, le politique s’arroge souvent les instruments pour annihiler les « dépassements » fussent-elles (artistiquement) verbales. Et à la quête de cet ordre sacré que la société a dessiné les contours des catégories et de leurs productions. Ainsi, les asociaux, les antisociaux et mêmes les ermites sont étiquetés dans le monde marginal.

La volonté de cette catégorie de vivre « en marge » n’est pour l’élite qu’une forme d’un reniement ou de non-reconnaissance de l’autorité politique ou sociale en place. Une autre catégorie, démunie et frustrée, vivant en marge de la « société », ne pouvant jouir de la même « matérialité », se met à s’accrocher pour survivre….Déployant tout son savoir-faire, elle se construit des « abris » de fortune avec tout ce qu’elle trouve, à commencer par les « déchets » de la société.

 Elle est tout de même étiquetée par l’image que donne son habitat : bidonville, habitat anarchique, habitat précaire….. Voila que l’anarchie refait surface : elle revient à travers un instinct de survie. Combien de fois, mis à part les conditions d’hygiène, la promiscuité, l’entassement, les chercheurs ont vu dans les bidonvilles les performances de la rationalité et de l’intelligence humaines (sociales et techniques). Dans ces moments, les politiques y voyaient l’échec de leur ordre ou du moins la source d’un probable flop. Ainsi, marginalisé, l’habitat n’inspirait rien artistiquement. L’architecture n’est pas l’apanage des catégories construisant dans l’urgence, ni un ersatz d’une matérialité hybride

Tous les griefs pour accabler ce ramassis matériel étaient les bienvenus. C’est dire que la résistance « collégiale » et professionnelle s’organise vite pour préserver les faveurs d’une élite ne pouvant se passer de mécènes (aujourd’hui les patrons…). Il a fallu attendre une évocation de Derrida sur la Destruksion d’Heidegger, terme adopté pour signifier le fondement de l’ontologie occidentale, pour que les architectes enfourchent le concept et optent pour la « dislocation » de leurs œuvres.

B.Tshumi donna la vie au nouveau courant dans ses « Folies » de la Villette. Nous pensons que cet intellectualisme s’est accommodé de l’émergence et de l’insertion de la mondialisation dans les pratiques des sphères prioritaires. N’oublions pas que les économistes avaient déjà osé avancer le principe des « différences fructueuses » entre les riches et les pauvres. Ainsi, le déconstructivisme a opté pour des thèmes de compositions « décomposées» comme retour à une forme voulant s’affirmer face au structuralisme. Les termes en « dé », « dis », « ex », évoquent cette capacité à maitriser le présent et le futur de l’œuvre, une forme de puissance et de capacité à maitriser l’accomplissement.

La déconstruction chez Derrida n’est ni une méthode, ni une technique, c’est une interrogation qui se situe entre la « clôture» et la « fin ». C’est dans cet inachèvement de l’œuvre que le principe architectural déconstructiviste établit son siège. …En somme, l’œuvre déconstruite est destinée à une lecture « avertie » prête à figurer dans les registres des ludiciels, l’enjeu : rétablir les parties. Et voila comment cette architecture déconstructiviste ne s’encombre point de l’utilitaire dans le sens de besoin pressent, ni des exigences « économiques », ni de sa réception « publique ». Elle s’offre comme un monument dédié à représenter la puissance financière et artistique, un geste accompli dans une commande spécifique, juste pour le « fun ».

Ne pouvons-nous pas affirmer que cette architecture n’est qu’une usurpation d’un « art » populaire de l’urgence (bricolage) ? Bidonvilles et favelas, cet « art » des pauvres également « précaire », inachevé, anarchique et hétéroclite commandé par le besoin, a surtout inspiré les architectes déconstructivistes. L’emploi des textures variées et resplendissantes, les volumes « atrophiés» et provocateurs, un cynisme envers l’environnement….En somme un bric-à-brac « bling bling » impressionnant…a remplacé un bric-à-brac rouillé…

Est-il besoin de représenter une « œuvre » ayant subi quelque « contraintes », (sismiques entre autres) pour daigner l’insérer dans les répertoires de haute gamme ? Et puis comment qualifier une production « architecturale » dessinée les « yeux fermés » ? Cependant, nous ne pouvons nier au déconstructivisme l’immensité de ses qualités ludiques. Car en pédagogie, un tel exercice permet d’expérimenter et d’interroger les finalités « artistiques » ou plastiques, tant nous nous plaisons dans le champ de l’inachevé et de l’informel.

A.BOUCHAREB

Publié dans Mes autres pensées

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