LE PATRIMOINE, un amour du passé

Publié le par bouchareb

Je me remémore cette apostrophe d'un ami (El Ho, il se reconnaitra) à-propos de la Souika (Vieux quartier  du centre-ville de Constantine), "mais pourquoi personne ne veut y habiter...?". Pleine de sens, cette remarque se conforte par son réalisme, son actualité et surtout son à-propos. 

A lire les interventions, les alertes et l'engouement des uns et des autres envers le vieux bâti, nous ne pouvons esquiver les questions "qui fâchent". Ce beau monde qui "perd les eaux" quand il s'agit de frôler du propos la vieille-ville semble se complaire dans son statut de "société civile ", prèt tirer sur tout ce qui pense autrement.

Les arguments avancés privilégient le fiéreté identitaire, comme si la disparition d'une telle couverture, mettra à nu leur  pudeur....Une feuille de vigne. 

 Pudeur, c'est qu'il faut mettre en avant pour venir en aide en priorité aux habitants de ce quartier friable...menaçant et précaire. 

Les conditions d'hygiène, la sécurité, l'infamie ont tendance à faire de ce haut lieu historique un mouroir. 

Ecoeurant, voila l'expression qui vient à l'esprit en voyant ces people se tordre de douleur pour un bâti qu'ils ont quitté pour des villas en hauteur  et oublié que des humains s'accrochent toujours  à la vie sous un toit déchiquété.

Les amours passées sont toujours belles, mélodieuses et irreversibles...Elles resteront belles parce que nous n'en  gardons que de souvenirs aussi beaux ... ET c'est le moyen le plus efficace pour les conserver dans l'intimité. 

Aujourd'hui, les adeptes de la patrimonialisation  estiment qu'il est impératif de garder ces souvenirs "privés" pour les futures générations. C'est l'idée-même du patriarche autoritaire, hégémonique en "droit" de faire hériter à sa descendance l'oeuvre de ses  ébats (fut-elle illégitime). Franchement, qu'en est-il en droit moral d'obliger sa progéniture à prendre en charge un héritage si encombrant et si couteux ? 

Ca me rappelle cette recommandation figurant dans les exigences du dévéloppement durable: le droit des générations à un environnement  moins froissé. En réalité, nous sommes en train de léguer à notre descendance nos "vieux jouets", nos "tintin", nos K7,  pire nos incapacités à prendre en charge notre présent. 

Aujourd'hui, si nous n'avons aucune  capacité de prendre en charge la souika sur le plan social et patrimonial, nos enfants auront sur les mains la frustration  des habitants et un bâti métastasié....

C'est-à-dire, soit  ils vont corriger ce "passif" en blasphémant  et maudissant les aieux et perdre un temps précieux pour garder la cadence de leur génération,  soit carrément la rayer et  ne plus s'encombrer d'un travail qui devait être fait "hier".

Aujourd'hui le temps "cyclique" n'est qu'un parcours  se dessinant en fligrane, dominé par le temps réel, le temps des fluctuations des valeurs et  des appels" des sirènes.  Les harragas y répondent en  mettant en application leur projet aventureux, les autres sont potentiellement tentés par changer d'air (ils expérimentent d'autres voies pour l'instant...).
 
Il est légitime de se demander pour qui ce patrimoine va-t-il servir?  Prioritairement à ces gérontocrates ....qui ne peuvent se décider sur le sort à donner à leurs gadgets "ringards". 

Il est temps de se résoudre et de voir dans les générations futures une "matière" dont les préoccupations ne sont pas obligatoirement les mêmes que les notres.

Bref,  voici le "préambule" du roman
d'Amin MAALOUF, ORIGINES . (Ed. Grasset. Paris. 2004)

D'autres que moi auraient parlé de "racines"...Ce n'est pas mon vocabulaire. Je n'aime pas le mot "racines", et  l'image encore moins. Les racines s'enfouissent dans le sol, se contortionnent dans la boue, s'épanouissent dans les ténèbres; elles retiennent l'arbre captif dès la naissance, et le nourissent au prix d'un chantage: " Tu te libères, tu meurs!".

Les arbres doivent se résigner, ils ont besoin de leurs racines; les hommes pas. Nous respirons la lumière, nous convoitons le ciel, et quand nous nous enfonçons dans la terre, c'est  pour pourrir. La sève du sol natal ne remonte pas par nos pieds vers la tête, nos pieds ne servent qu'à marcher. Pour nous, seules importent les routes. Ce sont elles qui nous convoient - de la pauvreté à la richesse ou à une autre pauvreté, de la servitude à la liberté ou à la mort violente. Elles nous promettent, elles nous portent, nous poussent, puis nous abandonnent . Alors nous crevons, comme nous étions nés, au bord d'une route que nous n'avions pas choisie.

A l'opposé des arbres, les routes n'emergent pas du sol au hasard des semences. Comme nous, elles ont une origine. Origine illusoire, puisqu'une route n'a jamais de véritable commencement; avant le premier tournant, et encore un autre. Origine insaisissable, puisqu'à chaque croisement se sont rejointes d'autres routes, qui venaient d'autres origines. S'il fallait prendre en compte tous ces confluents, on embrasserait cent fois laTerre.
      

 


   

Publié dans Mes autres pensées

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